Lauréat du Prix du livre d’histoire « Provins-Moyen Age » 2024
Michel BALARD, spécialiste de l’Orient médiéval, est Professeur émérite de l’université de Paris-I Panthéon Sorbonne.
" Les épices, moteur de l'histoire " ? Après Marx, des historiens contemporains ont cherché à mettre en évidence le rôle fondamental des épices dans l'histoire du monde médiéval et moderne. Leur quête incessante aurait stimulé les voyages vers des terres jusque-là inconnues, provoqué la révolution nautique médiévale transformant les formes et l'usage des navires, suscité la conquête par les Occidentaux des pays producteurs d'Extrême-Orient, bref serait à l'origine de la domination du monde par les nations d'Occident. Sans la recherche effrénée des précieuses épices, Christophe Colomb, Vasco de Gama ou Magellan n'auraient pas laissé leur nom dans l'histoire.
Mais pourquoi un tel attrait ? Censées provenir du Paradis même, les épices constituaient au Moyen Âge un symbole de richesse, de bonheur et de prestige, de confort matériel et de prééminence sociale, des marqueurs sociaux de goût et d'élégance. Leur prix élevé dû à leur rareté et à leurs origines lointaines et mystérieuses les réservait à l'élite de la société médiévale pour ses repas de fête ou pour les soins du corps. Elles n'étaient pas une marchandise comme une autre : à la fois condiment et médicament, teinture et parfum, le mot species (espice en vieux français) s'applique abusivement à la fin de cette époque à l'ensemble des drogues condimentaires, tinctoriales et pharmaceutiques, venues de l'Extrême-Orient, des pays de l'océan Indien ou du Proche-Orient, et qui, par l'intermédiaire des marchands arabes, arrivaient aux mains de l'aristocratie marchande des grandes cités méditerranéennes. Son usage se répartit entre la table, la pharmacopée et l'atelier. Rien d'étonnant dès lors si les textes médiévaux classent parmi les épices des produits comme le riz, le miel, le sucre ou les oranges, la cire ou le coton.
De la Chine ou de l'Indonésie, arrivant en Occident par des itinéraires segmentés au sein desquels Arabes et Mongols jouent un rôle majeur, avant de passer le relais aux Génois, aux Vénitiens ou aux Catalans, installés dans leurs comptoirs d'Alexandrie, de Beyrouth, de Constantinople ou de mer Noire, ces précieuses épices dessinent une première géopolitique mondiale.
Les membres du jury, le maire de Provins et le lauréat Michel BALARD.
Précédents lauréats
Joël Cornette, pour son livre Anne de Bretagne (Gallimard, 2021). Docteur en histoire, il est depuis septembre 2017 professeur émérite des Universités, ayant été professeur à l'université de Paris-VIII Vincennes-Saint-Denis.
Sur cette duchesse devenue reine, statufiée en idole de la Bretagne, il existe une littérature pléthorique mais qui repose sur des sources fragiles et plutôt rares. Pour reconstituer son itinéraire si bref et si chahuté, il faut suivre ses pas en retrouvant et en interrogeant ceux qui l'ont accompagnée.
L'existence d'Anne de Bretagne se lit comme un précipité de vie : duchesse à onze ans, reine de France à quinze ans, mère à seize ans, veuve à vingt et un ans, remariée et reine à vingt-deux ans, enceinte à quatorze reprises au moins, mais ne laissant que deux héritières quand elle meurt à trente-sept ans. De son vivant et plus encore depuis sa mort, on s'est emparé d'elle pour soutenir des causes inconciliables, l'indépendance du duché de Bretagne qu'elle a défendue en effet jusqu'au bout ou, au contraire, l'annexion pure et simple de l'Armorique au royaume de France. Anne est au coeur de cet enjeu séculaire. Son règne achève le siècle d'or d'un État breton qui croyait pouvoir jouer dans la cour des grands avant de céder à plus puissant que lui.
Cette biographie dessine le portrait intime d'une de nos premières femmes politiques. Elle en restitue les croyances, l'intelligence de l'histoire, le goût des images enluminées, l'art de la sociabilité décliné au féminin - c'est à elle qu'on doit l'invention de la cour des Dames.À la faveur de son destin singulier et au fil des pages s'écrit également, en miroir, l'histoire croisée du royaume des lys et du duché de l'hermine.
A propos du livre
"La Coupe de sainte Agnès"
Depuis 1892 le British Museum possède l’un des plus grands chefs-d’œuvre de l’art français du XIVe siècle, la Coupe de sainte Agnès, dénommée en Angleterre «The Royal Gold Cup ». Cette coupe massive, émaillée sur or, dont l’usage était destiné aux grandes fêtes, est documentée depuis 1391, date à laquelle elle fut offerte par le grand mécène Jean de Berry, à son neveu, le roi Charles VI. Probablement réalisée pour le frère aîné du duc, Charles V, qui était né le jour de la Sainte-Agnès, elle est ornée d’un décor raffiné, d’une beauté sans égale, où sont représentées des scènes de la vie et du martyre de la sainte.
La Coupe a connu une destinée unique, tout d’abord à la cour de France, au temps des Valois, ensuite dans le trésor des rois d’Angleterre, aux XVe et XVIe siècles, puis en Espagne, où elle voyagea dans les bagages du duc de Frias qui, l’ayant reçu des mains du roi d’Angleterre Jacques Ier, la confia finalement aux clarisses de Medina de Pomar en 1610. Revenue à Paris en 1883, rejetée avec mépris par les grands collectionneurs d’art, elle a été acquise par le baron Pichon, avant d’achever son long périple à Londres.
A propos de Neil STRATFORD
Né le 26 avril 1938 à Londres.
Médiéviste de l’Histoire de l’art médiéval, spécialisé dans la sculpture romane et les arts précieux du Moyen Âge. Conservateur émérite du Département médiéval du British Museum. Spécialiste de la sculpture romane en France, en particulier de la sculpture romane bourguignonne. Élu le 7 décembre 2012 associé étranger de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
Jean-Yves Boriaud, Machiavel (Perrin, 2015).
Synonyme de cynisme compliqué de rouerie, le « machiavélisme » a éclipsé Niccolò Machiavelli, Italien de la classe moyenne devenu diplomate, qui courut les routes d'Europe pour le compte de Florence : il connut la cour française de Louis XII, l'Allemagne de Maximilien Ier et la Rome des Borgia, qui lui apprit tant de choses sur les ressorts les plus sombres de l'âme humaine. Cela pour la défense de sa patrie, qu'il aimait, dit-il, « plus que tout », cité opulente, mais si petite qu'il lui fallut toute sa dialectique afin d'assurer sa survie au milieu des guerres d'Italie.
Ce républicain, que les Médicis emprisonnèrent, torturèrent et exilèrent, écrivit en 1513, une fois chassé du pouvoir, le bref traité du Prince où, pour la première fois dans l'histoire de la pensée politique occidentale, l'efficacité prenait le pas sur la morale. Sans oublier un Art de la guerre qui renouvelait la doctrine militaire du temps et le commentaire de Tite-Live où les jeunes États-Unis vinrent chercher les fondements de leur Constitution. Pour ses contemporains, il fut aussi un auteur de théâtre à succès, un bon vivant grand ami des actrices, avant qu'une légende noire, forgée à la toute fin de sa vie, n'assombrît définitivement l'image de ce penseur libre venu apprendre au monde, qui ne le lui pardonna pas, que l'homme, foncièrement, est mauvais.
Christiane Klapisch-Zuber, Le voleur de Paradis (Alma, 2015)
À Florence, Christiane Klapisch-Zuber a trouvé l’émouvant souhait d’un supplicié. Il demandait que l’on peigne dans l’église d’Or San Michele « une image du Bon larron, afin que celui-ci prie Dieu de montrer à son égard, lors de son dernier souffle, la même miséricorde qu’Il eut pour un voleur et par laquelle ce voleur devint un bienheureux ». Dès lors, l’historienne a mené une longue et minutieuse enquête sur celui que la tradition nomma Dismas : le brigand crucifié aux côtés de Jésus et à qui Jésus lui-même affirma : « Ce soir tu seras avec moi au Paradis ».
Réunissant une documentation et une iconographie exceptionnelles, Christiane Klapisch-Zuber lie de manière neuve la représentation du Calvaire par les artistes au bouillonnement théologico-politique de la fin du Moyen Age en Italie et en Allemagne. C’est l’époque de la rupture entre le catholicisme romain et la Réforme autour des thèmes de la grâce, du pardon des péchés et de la rédemption. À ce conflit spirituel correspond un profond changement dans le fonctionnement de la justice civile et l’administration des peines – dont la violence spectaculaire va croissant. Ces bouleversements sociaux interagissent avec d’importantes mutations dans l’art de représenter, de mettre en scène et de vivre ce qui fait le cœur du christianisme médiéval et renaissant : la mort, la descente aux Enfers et la résurrection du Christ – le salut dans la chair, par l’incarnation.
Patrick DEMOUY, pour son ouvrage Le Sacre du Roi, aux éditions La Nuée Bleue / Place des Victoire.
-Un livre très accessible et très illustré pour comprendre le sens de cette cérémonie, fondatrice de l'Histoire de France.
Le livre est construit en trois parties.
1. Les origines et le sens de la royauté sacrée. Patrick Demouy présente l'enjeu politique et symbolique du sacre, qui permet d'assoir la légitimité du roi et de sa dynastie dans l'Europe médiévale, et tout particulièrement en France. Le rôle de la Sainte Ampoule qui, selon la tradition, a été remise par une colombe à saint Remi lors du baptême de Clovis, donnant au roi un pouvoir surnaturel, guérisseur des écrouelles. Il décrit les lieux du sacre, les batailles d'influence entre Reims et Sens, le sacre d'Henri IV à Chartres ou ceux de plusieurs reines à Saint-Denis.
2. Le rituel du sacre. Patrick Demouy détaille et décrypte toutes les étapes de la cérémonie du sacre qui durait sept heures, du Lever au Festin, en passant par la remise des insignes, l'onction, le couronnement,...
3. Chronologie des sacres. Tous les sacres des rois et reines de France sont présentés, de Pépin le Bref en 752 à Charles X en 1825. En tout, 33 rois se sont fait sacrer dans l'histoire de France.
Une magnifique iconographie, réunissant 300 images anciennes : des enluminures de prestigieux manuscrits médiévaux détaillant toute les étapes du sacre, des gravures et tableaux du XVIIIe siècle mettant en scène les fastes des sacres de Louis XIV et Louis XV, la reproduction des somptueux insignes royaux ou " regalia " encore conservés (sceptres, couronnes, manteaux...), les photographies des lieux du sacre (Reims, Saint-Denis)...
Léonard Dauphant pour Géographies, ce qu’ils savaient de la France (1100-1600).
Que savaient les Français des XIIe-XVIe siècles de leur pays ?
La littérature, qui naît au temps des troubadours, ouvre une fenêtre sur les connaissances concrètes des hommes et des femmes ordinaires. A travers deux cents poèmes, romans, proverbes, récits de voyages ou pièces de théâtre, ce livre raconte comment, en cinq cents ans, entre les croisades et l'avènement d'Henri IV, la France s'est formée comme un Etat-nation, mais aussi comme un paysage et un pays familier - et surtout, comment les Français l'ont vécu.
Nous découvrons d'abord ce que les humbles comme les puissants percevaient de leur environnement, paysage sonore, visuel et olfactif. La géographie commune parle aussi de la vie, du travail et des rêves. Productions artisanales, nourriture, monuments, légendes... la perception que les Français avaient de leur pays constitue une géographie imaginaire des lieux communs comme des hauts lieux : de la moutarde de Dijon à la fée Mélusine, de la France des cathédrales à celle du vin et de la bière, nous en sommes peut-être, en partie, les héritiers.
Que voulait dire être Français au Moyen Age ?
L'étude des rapports complexes entre l'Etat royal et les régions (Occitanie, Bretagne...), entre les régnicoles et les étrangers, entre le français et les autres langues, montre que la "nation France" s'est construite dans la diversité, à travers des identités régionales et locales marquées, dans le Nord comme dans le Midi. Fruit d'une méthode originale, ce livre de géo-histoire est illustré de vingt cartes inédites, qui dessinent les voyages de Pantagruel ou le monde vu par une farce normande. Au fil des chapitres, en une mosaïque d'images, c'est un portrait sensible et précis du pays qui se dessine, parfois déroutant, parfois étonnamment familier.
éologie d’une capitale fortifiée par Philippe Auguste, Paris : CNRS éditions, décembre 2018, 328 p.
En l'an 1200, la ville de Paris s'apprête à offrir au " beau XIIIe siècle " un visage entièrement nouveau, grâce à un chantier d'architecture sans précédent, conduit par le roi Philippe Auguste. Alors même que la cathédrale Notre-Dame sort de terre, les rues sont pavées, les premières Halles sont construites, le palais de la Cité est remodelé... Mais surtout, la ville est entourée par une immense enceinte fortifiée, complétée par une superbe forteresse : le château du Louvre. Aujourd'hui presque entièrement disparues, ces fortifications ont pourtant donné à Paris sa cohérence et sa forme définitive, tout en contribuant à ériger la ville au rang de capitale du royaume.
Comment un programme d'architecture a-t-il pu jouer un tel rôle dans l'histoire ? Pour le comprendre, il faut plonger au coeur du Moyen Âge, sur les traces d'un souverain d'exception, auteur d'une oeuvre politique et architecturale fondatrice. Afin de décrypter la fonction et la signification même des monuments, Denis Hayot se livre à une véritable enquête archéologique, dévoilant peu à peu le véritable visage des fortifications de Philippe Auguste. L'aboutissement s'en trouve dans les restitutions 3D de l'auteur et dans les superbes aquarelles de Jean-Claude Golvin, qui redonnent vie à l'une des oeuvres monumentales les plus importantes du Moyen Âge.
Denis Hayot, docteur en histoire de l’art, est spécialiste de l’architecture fortifiée médiévale.
Agrégé d'histoire, professeur émérite d'histoire de l'Islam médiéval, Gabriel Martinez-Gros, pour son livre l'Empire islamique VIIe-XIe siècle (Passés Composés, 2019).
Il a dirigé, avec Lucette Valensi, l'Institut d'études de l'Islam et des sociétés du monde musulman. Il est notamment l'auteur de Brève histoire des empires, de Ibn Khaldûn et les sept vies de l'Islam et, avec Sophie Makariou, d'une Histoire de Grenade.
Voilà un ouvrage qui revisite l‘histoire de l'Empire islamique sans produire aucun fait nouveau et qui pourtant révise radicalement la compréhensiondes premiers siècles de l'Islam. De livre en livre, Gabriel Martinez-Gros a entrepris de donner toute sa place à l’œuvre du grand penseur de langue arabe du XIVe siècle Ibn Khaldûn. L'auteur du Livre des exemples lui sert ici de guide pour proposer une lecture inédite de l‘histoire de l'Empire islamique. L'auteur commence par présenter la théorie khaldunienne et son apport à une histoire générale des empires. La sédentarisation est ce processus universel qui conduit à la division des fonctions entre des minorités investies des fonctions violentes de l'État (les bédouins) et les masses assignées aux fonctions productives et au paiement de l'impôt (les sédentaires). Dans l‘histoire des grands empires (achéménide, chinois, romain), les premiers ont régulièrement surgi des frontières pour soumettre les seconds, mais ont peu à peu adopté leurs mœurs, leur langue et leurs croyances, en se sédentarisant à leur tour. L'Islam est l'exception à la règle. La langue arabe et la religion musulmane apportées par les vainqueurs ont été adoptées par leurs sujets, donnant naissance à une nouvelle civilisation. Et c‘est en Irak, cœur millénaire des empires, que ce renversement s'est joué. L’histoire de l'Empire islamique est présentée à la manière d'Ibn Khaldûn en quatre vies de 120 ans chacune. Ces scansions inhabituelles illuminent les intuitions de l'auteur. On y saisit comment le califat s'est trouvé dépouillé des fonctions guerrières comme du magistère religieux. On comprend que le chiisme fut la religion de l'empire et le sunnisme, celle de la sédentarisation. On suit les trajectoires divergentes de l‘Orient et de l‘Occident de l'Islam où la sédentarisation des vainqueurs est restée inachevée. On mesure enfin le rôle que les Francs, au même titre que les Turcs et les Berbères, sont venus jouer dans cette histoire. Nul doute qu'à la lecture de ce livre on ne comprendra plus de la même manière, et on enseignera différemment l'histoire des premiers siècles de l'Islam.
Julie Claustre, pour son livre Faire ses comptes au Moyen Age - Les mémoires de besogne de Colin de Lormoye (Les Belles Lettres, 2021, collection "Histoire").
Michel Zink, Les Troubadours : une histoire poétique (Perrin, 2013).
L'histoire inédite des troubadours composée par son meilleur connaisseur, Michel Zink.
" Les troubadours sont, au XIIe siècle, les auteurs des plus anciennes chansons d'amour composées en langue d'oc, l'une des langues nouvelles qui dans le sud de l'Europe se sont substituées au latin. Leurs poèmes sont si beaux qu'ils ont modelé jusqu'à nos jours les formes et le langage de l'amour.
" J'ai voulu dans ce livre les faire aimer autant que je les aime, faire sentir tout ce que leurs chansons recèlent de sophistication et de simplicité, de séduction et de profondeur. Comment rendre proche, immédiatement accessible, immédiatement savoureuse, une poésie d'amour vieille de neuf siècles, écrite dans une langue ancienne et à demi étrangère, parfois volontairement obscure et produite par une civilisation désormais si loin de nous ?
" Ce livre se veut une histoire poétique des troubadours. Il tente de rendre à leur poésie sa fraîcheur en la suivant dans ses méandres, en disant au fil des chansons et à propos de chacune juste ce qu'il faut pour qu'elle nous parle, pour que sa subtilité apparaisse, pour que ses allusions s'éclairent, qu'elle nous enchante et qu'elle vive en nous. "
Michel Zink
Michel Pastoureau, L’ours, histoire d’un roi déchu (Seuil, 2007).
Longtemps en Europe, le roi des animaux ne fut pas le lion mais l'ours. Les cultes dont il a fait l'objet plusieurs dizaines de millénaires avant notre ère ont laissé des traces dans l'imaginaire et les mythologies jusqu'au cœur du Moyen Âge chrétien. De bonne heure, l'Église chercha à les éradiquer, effrayée par la force brutale du fauve, et surtout par la croyance selon laquelle il était sexuellement attiré par les jeunes filles.
Michel Pastoureau retrace les différents aspects de cette lutte de l'Église contre l'ours pendant près d'un millénaire. Inscrivant l'histoire culturelle de l'ours dans la longue durée, il tente ainsi de cerner ce qui, jusqu'à nos jours, a survécu de son ancienne dignité royale et retrace l'étonnante transformation d'un fauve en ours en peluche, dernier écho d'une relation passionnelle venue du fond des âges.
Bruno Dumézil, La reine Brunehaut (Fayard, 2008).
Au printemps 581, deux armées se préparent à s'affronter dans la plaine de Champagne. L'enjeu de la bataille est le contrôle de l'Austrasie, le plus grand des royaumes mérovingiens. Soudain, une femme en armes apparaît entre les lignes ennemies et exige des guerriers qu'ils mettent fin à leur querelle. Par ce fort belliqueux geste de paix, Brunehaut vient de faire son entrée dans l'Histoire. Cette grande dame du VIe siècle souffre pourtant de la légende noire attachée à son nom.
Trop souvent, son règne est décrit comme une suite de meurtres, de vengeances et de sacrilèges, dont le moteur aurait été une haine inexpiable envers sa belle-sœur Frédégonde. Quant à l'épouvantable supplice qu'elle subit en 613, on le donne généralement en modèle de la barbarie mérovingienne. Par-delà l'image d'Epinal, il est aujourd'hui nécessaire de revenir aux sources contemporaines. Le rôle du médiéviste est de relire ces textes, de les confronter avec les résultats des disciplines nouvelles, pour bâtir un récit plus attentif à la vérité historique ; peut-être moins " romantique ", mais tout aussi vivant et trépidant.
Brunehaut retrouve alors sa véritable dimension, gigantesque, à la mesure d'un royaume qui s'étendait de la Bretagne à l'Adriatique et du Pays basque aux frontières du Danemark. Là, pendant près de quarante ans, cette " Barbare " œuvra à la préservation de la civilisation romaine. Sous son règne, l'autorité de l'Etat, le principe d'un impôt équitable et la littérature classique vécurent un été indien.
Mais Brunehaut fut aussi une femme dépourvue de toute nostalgie. Sa pratique subtile de la justice et son usage des relations d'homme à homme - ou doit-on dire de femme à homme ? - font d'elle l'une des créatrices de la civilisation médiévale. Amie des papes et des moines réformateurs, elle rendit également possible l'évangélisation de l'Angleterre et contribua grandement à l'émergence de la chrétienté occidentale.
A la rupture entre Antiquité et Moyen Âge, entre passion pour le pouvoir et espoir permanent d'une existence paisible, Brunehaut est un personnage étrange et complexe, une figure qui mérite assurément d'être redécouverte
André Vauchez, François d'Assise (Fayard, 2009).
Tout le monde a entendu parler, un jour ou l'autre, de François d'Assise, ce saint italien du XIIIe siècle qui aimait la pauvreté, prêchait aux oiseaux et serait le premier stigmatisé de l'histoire. D'innombrables biographies et ouvrages lui ont été consacrés depuis le Moyen Age et, de nos jours, sa réputation dépasse largement les frontières du catholicisme, puisque des croyants de toutes les confessions et beaucoup de non croyants s'intéressent à lui et au franciscanisme qui a profondément marqué le christianisme occidental.
Malgré la sympathie générale qui entoure sa figure, le " Pauvre d'Assise " reste cependant mal connu du public, car son image a parfois été brouillée par des interprétations édifiantes ou fantaisistes qui ont affadi ou dénaturé son message. Depuis un demi-siècle, les recherches qui lui ont été consacrées, en Italie et dans le monde entier, ont profondément modifié la connaissance et la compréhension que l'on pouvait avoir du Poverello. Aussi était-il devenu urgent de lui consacrer une nouvelle étude nourrie des travaux les plus solides.
On se réfère aujourd'hui souvent à l'" esprit d'Assise " qui pourrait contribuer à ramener la paix entre les religions à travers le monde (Jean-Paul II a invité dans cette ville, en 1986, les principaux chefs des grandes religions). Le présent ouvrage cherche à expliquer, en se plaçant du point de vue de l'historien, pourquoi François d'Assise continue à exercer une réelle fascination à huit siècles de distance.
2010 : Lydwine Scordia (éd.), Pierre Choinet, Le Livre des trois âges : Fac-similé du manuscrit Smith-Lesouëf (Presses Universitaires de Rouen-Le Havre, 2009).
Le Livre des trois âges est un manuscrit énigmatique destiné au roi Louis XI. L'ouvrage traite d'éducation, de chasse, de bon gouvernement, de foi catholique, d'art de la guerre, le tout en 621 vers et douze miniatures. L'auteur, caché derrière un anagramme, est le Rouennais Pierre Choinet. " Medecin et astrologien " de Louis XI, il écrit ce poème moral et politique pour le roi en 1482 ou 1483. Quant aux douze magnifiques miniatures, elles ont été peintes par le Maître de l'échevinage de Rouen, artiste bien connu qui a travaillé pour les conseillers de la ville dans la seconde moitié du xve siècle. Objet d'art exceptionnel, le Livre des trois âges n'avait jamais jusqu'à ce jour été ni reproduit, ni édité, car le texte était demeuré incompris. Ce précieux manuscrit est comme un " meuble à secret " dont la belle apparence camoufle des tiroirs dissimulés. Le lecteur est invité à découvrir la clé de cette oeuvre d'art qui contribue à éclairer les dernières années du règne de Louis XI. Le présent volume comporte une étude très complète du manuscrit et du texte, le fac-similé, sa transcription et sa traduction, un dossier iconographique et un glossaire.
Philippe Bernardi, Bâtir au Moyen Age (CNRS éditions, 2011).
Charpentiers, maçons, tailleurs de pierre, etc : c'est toute la vie quotidienne des chantiers du Moyen Âge qui est restituée ici. Importance de la main-d'ouvre, fourniture et prix des matériaux, outillage, transport, répartition du travail, hiérarchie et salaires, place de l'architecte, diversité des lieux investis par les constructeurs et rôle de la loge où travaillent apprentis et compagnons : Philippe Bernardi raconte comment l'on bâtissait au temps des cathédrales.
Traitant des divers types de constructions de l'Europe occidentale, et des apports les plus récents de la recherche (sources écrites, iconographiques, archéologiques ou issues des laboratoires), il rend vivante autant qu'il l'élargit l'histoire de ces artisans du Moyen Âge.
Laurent Feller, L’assassinat de Charles le Bon, Comte de Flandre, 2 mars 1127 (Perrin, 2012).
Le 2 mars 1127, mercredi des Cendres, le pieux et bon comte de Flandre Charles est agenouillé en prières dans l'église Saint- Donatien de Bruges, lieu sacré. Un commando fait irruption et, par-derrière, le poignarde. Les auteurs et commanditaires de ce crime monstrueux appartiennent au proche entourage du comte Charles, dont ils craignaient d'avoir encouru la disgrâce et qu'ils cherchaient à remplacer par un seigneur concurrent.
S'ensuivent, à Bruges et dans toute la Flandre, des péripéties d'une extrême violence, avant que le roi Louis VI le Gros, dont le comte de Flandre est un puissant et fidèle vassal, fasse bonne justice et impose son propre candidat à la couronne comtale. Un témoin, Galbert de Bruges, a tout raconté dans un prodigieux récit.
Cet épisode, qui eut un immense retentissement, permet de mettre en lumière les moeurs et les rites de la chevalerie, l'émergence politique d'une bourgeoisie consciente de sa puissance et de ses droits, l'exercice de l'autorité royale, le poids de la religion, le meurtre du comte Charles ayant fait de lui, aux yeux de ses sujets, un martyr. Rarement le Moyen Age à son apogée a été ainsi révélé de l'intérieur.
Colette Beaune, Le Grand Ferré (Perrin, 2013).
Le Grand Ferré était connu de tous les Français à l'aube des années 60, occupant une place de choix à l'école élémentaire. Son histoire apparaît dès 1360 en pleine guerre de Cent ans sous la plume d'un frère mendiant né près de Compiègne. Il raconte comment les paysans du lieu ont réussi grâce à la force herculéenne du Grand Ferré à repousser les mercenaires anglais qui avaient assailli leur village pour le piller. La France traverse alors une crise terrible.
Depuis le début du siècle, un climat particulièrement rude engendre de mauvaises récoltes affamant les populations. A cela s’ajoute la grande peste qui sévit en 1348, tuant le tiers des Européens. Le roi (Jean II) est prisonnier des Anglais et à Paris, le jeune régent est contesté par Etienne Marcel. De nombreux soulèvements paysans se déchaînent alors contre les nobles. La bravoure du Grand Ferré illustre d'emblée le courage du peuple qui, abandonné par les élites, se prend en charge lui-même. Pour les élites, cette revendication a le parfum du soufre.
Pour retrouver la vérité du Grand Ferré, Colette Beaune a mené une véritable enquête. L'historienne est allée sur place, en Picardie où la popularité du paysan est encore intacte. Elle a retrouvé sa trace la plus ancienne dans les fonds d'archives d'une abbaye et suivi le fil de son histoire… jusqu'au XIXe siècle.
A l'aube de la Troisième république, Michelet fait de sa bravoure légendaire l'acte de naissance de la nation France. Désormais, les historiens le mobilisent pour tous les combats patriotes du roman national : symbole de la Revanche après 1870 (sous les traits de Gambetta), ou défenseur des pauvres contre toutes les formes d'oppressions. Jaurès était lui-même surnommé le Grand Ferré... Durant la guerre 39-45, les résistants du Beauvaisis se placèrent sous son patronage.
D'âge en âge, le Grand Ferré aura incarné la force du Non en France.
Michel Zink, Les Troubadours : une histoire poétique (Perrin, 2013).
L'histoire inédite des troubadours composée par son meilleur connaisseur, Michel Zink.
" Les troubadours sont, au XIIe siècle, les auteurs des plus anciennes chansons d'amour composées en langue d'oc, l'une des langues nouvelles qui dans le sud de l'Europe se sont substituées au latin. Leurs poèmes sont si beaux qu'ils ont modelé jusqu'à nos jours les formes et le langage de l'amour.
" J'ai voulu dans ce livre les faire aimer autant que je les aime, faire sentir tout ce que leurs chansons recèlent de sophistication et de simplicité, de séduction et de profondeur. Comment rendre proche, immédiatement accessible, immédiatement savoureuse, une poésie d'amour vieille de neuf siècles, écrite dans une langue ancienne et à demi étrangère, parfois volontairement obscure et produite par une civilisation désormais si loin de nous ?
" Ce livre se veut une histoire poétique des troubadours. Il tente de rendre à leur poésie sa fraîcheur en la suivant dans ses méandres, en disant au fil des chansons et à propos de chacune juste ce qu'il faut pour qu'elle nous parle, pour que sa subtilité apparaisse, pour que ses allusions s'éclairent, qu'elle nous enchante et qu'elle vive en nous. "
Michel Zink